À l'exception du titre de cet article (fait avec le but avoué d'attirer votre attention), je n'utilise jamais le terme chronique dans ma pratique personelle. Pourquoi ? Car ce mot sous-entend que la situation de douleur d’une personne est immuable, qu’elle ne peut changer. Que celui ou celle qui souffre est condamné(e) à endurer pour le reste de ses jours, sans espoir d’améliorer sa situation. Étant donné que les mots que l’on emploi lorsque l’on parle de ses douleurs ont le potentiel d’aggraver ou d’améliorer ces dernières, je préfère utiliser un autre terme plus juste!
On devrait plutôt parler de douleurs persistantes. Car, même si une expérience de douleur peut s’incruster pendant des mois ou des années, il serait faux de penser que la situation est sans espoir!
C’est du moins ce que montrent de nombreuses recherches s’intéressant à des individus vivant toutes sortes de douleurs de nature persistante et qui ont réussi à surmonter ou, à tout le moins, à fortement atténuer ces dernières (Taimela, 2000, Van der Velde, 2000, Witting 2001, etc.)
L’Organisme Mondial de la Santé définit la douleur persistante comme une douleur qui perdure au-delà du temps de guérison normal des tissus ou encore comme une douleur sans lésion physiologique identifiable
Car oui, c’est possible de continuer à éprouver de la douleur même lorsque nos blessures sont entièrement guéries !
Quelque peu arbitrairement, on situe à trois mois le temps nécessaire pour qu’une douleur passe d’un stade aigu à un stade persistant. Mondialement, de plus en plus de gens vivent quotidiennement avec ce type d’inconforts (Foreman et coll. 2014). En 2019, la revue scientifique The Lancet estimait à 1.71 milliards le nombre d’individus souffrant d’invalidité persistante de nature musculosquelettique (Cieza et coll. 2020).
Douleur et sédentarité
L’épidémie de douleur persistante croît à une vitesse qui n’est pas sans rappeler celle de la sédentarisation de nos sociétés. En effet, dans les pays industrialisés, la population de tout âge est de plus en plus inactive.
Le nombre de personne obèse par exemple, a triplé dans les 40 dernières années à l’échelle planétaire. En 2016, près de 40% des adultes de plus de 18 ans était en surpoids.
Au Canada, par exemple, 75% des canadien(ne)s n’atteignent pas les cibles minimales de l’Organisme Mondial de la Santé en matière d’activité physiques, soit environ 20 minutes de marche rapide par jour (Le Devoir, 2019).
Nous faisons face à un paradoxe intéressant ici : tandis que de plus en plus de gens vivent avec de la douleur musculosquelettique de nature persistante, de moins en moins d’entre nous intégrons une dose satisfaisante d’activité physique dans notre quotidien. Or, la modalité la plus éprouvé pour les douleurs musculosquelettiques de nature persistante, c'est justement… l’activité physique.
Le cercle vicieux de la peur-évitement
Une première étape nécessaire pour se libérer de l’emprise de la douleur persistante consiste à briser le cycle de peur-évitement. S’il est vrai que la douleur aiguë agit comme une protection visant à limiter nos mouvements pour un moment, la douleur de nature persistante est un bien moins bon guide à ce niveau!
Par ailleurs, le fait de craindre de bouger est associé à deux phénomènes bien connus qui contribuent à renforcer l’emprise de la douleur sur un(e) individu(e)
Une hausse des niveaux d’inquiétude et de la perception de menace.
Un déconditionnement entraînant une diminution des capacités physiques.
On a mal, donc on limite nos activités. Et si on limite nos activités trop longtemps, nos capacités physiques se réduisent. Résultat : on a encore plus mal lors d'une sollicitation moins importante. Finalement, on angoisse en se demandant ce qui ne va pas, ce qui amplifie encore la douleur. C’est un cercle vicieux qui peut devenir véritablement infernal!
Beaucoup de mes client(e)s vivant de la douleur persistante ont de l’appréhension vis-à-vis l’exercice par peur d’empirer leur situation. C’est une crainte légitime, surtout lorsque l’on a déjà beaucoup souffert par le passé.
Toutefois, souvent à leur grande surprise, c’est l’effet inverse qui se produit! Non seulement l’exercice physique ne leur cause pas davantage de douleur, mais souvent il participe à réduire cette dernière.
Parfois, cela se produit de manière presque instantanée (un phénomène étudié appelé hypoalgésie à l’exercice). D'autres bénéfices demandent plus de persévérance et sont récoltés au bout de quelques semaines ou mois de persévérance à l'exercice. Ceci représente, à leurs yeux, une excellente preuve que bouger davantage n’aggravera pas leur situation!
L’exercice, c’est bénéfique, mais jusqu’à quel point ?
Pas mal tout le monde est au courant : faire de l’exercice, c’est bon pour la santé.
Pourtant, cette grande vérité ne semble pas un argument suffisant pour freiner la montée infatiguable de la sédentarité dans nos sociétés! C’est trop vague et, avouons-le, souvent moins divertissant que de passer la soirée à écouter la télévision ou à scroller sur notre téléphone. Et pourtant! Si les gens étaient mieux conscientisés aux effets que peut avoir l’exercice sur leurs petits problèmes quotidiens, et surtout, s’ils étaient rassurés qu’il n’est pas nécessaire d’en faire une tonne pour obtenir ces bénéfices, peut-être serait-il tenté d’intégrer davantage de mouvements à leur planning hebdomadaire!
Les exercices représentent la modalité la plus éprouvé au niveau de la littérature scientifique pour aider à réduire les douleurs persistantes au dos, au cou, aux épaules, aux genoux et pour la douleur chronique généralisée. (Babatunde et coll, 2017) L’exercice se classe même devant la médication à ce niveau (Geneen et coll, 2017). Ce qui est fascinant, c’est que cet effet se retrouve même chez des gens dont les mécanismes autonomes de contrôle de la douleur seraient moins efficaces, comme les gens souffrant de fibromyalgie par exemple (Da Silva et coll, 2021).
Il y a un hic : ces effets sur la diminution des douleurs persistantes ne sont malheureusement souvent pas instantanés. Donc, il ne faut donc pas se décourager!
La plupart des études s’intéressant à la question rapportent des bénéfices significatifs chez les participants après une participation régulière à un programme de renforcement pendant une période d’au moins 2-3 mois.
C’est aussi ce que je constate dans ma pratique quotidienne. Chez mes client(e)s qui vivent de la douleur persistante, l’adhérence à un programme d’exercices sur une période de quelques mois procure souvent des effets très significatifs sur leur niveau de douleur.
Avec de la patience et de la volonté, certain(e)s réussissent même à se libérer complètement d’inconforts tenaces présents depuis plusieurs années!
Plusieurs études ont lié la pratique d'au moins 20 minutes d'activité physique modéré par jour (telle la marche rapide) à de nombreux bienfaits pour la santé.
Ajouter quelques exercices en résistance (musculation) à cette routine de base semble encore plus bénéfique (aide au maintient et au développement de la masse musculaire et de la masse osseuse, à la prévention des chutes, etc). De plus, il n’est pas nécessaire de s'entraîner en résistance tous les jours pour obtenir des bénéfices sur la santé. Une fréquence de 2 à 3 fois par semaine semble efficace pour la majorité des individus!
Chez les gens très sédentaire, un simple programme de marche peut apporter des améliorations substantielles sur les niveaux de douleur (Shnayderman et coll, 2012). Idéalement, pour obtenir ces bienfaits, il suffit de respecter quelques principes simples.
Conditions nécessaires
Principe d’assiduité
Tel que mentionné précédemment, l’exercice tend à livrer davantage ses résultats sur la réduction de la douleur lorsqu’on pousse la durée du programme au-delà de 2 à 3 mois. Il ne faut donc pas se décourager et tenter de respecter son plan de match préétabli!
Pour être assidu(e), il faut cultiver sa motivation. De quelle façon pourriez-vous rendre attrayante votre mini séance d'exercice quotidienne? En écoutant de la musique ? En discutant avec un(e) ami(e) en même temps ? En passant du temps en nature ?
En musculation, chaque session d’entraînement n’a pas besoin de durer des heures. Par exemple, 1-3 séries de 10 à 15 répétitions par grands groupes musculaires semble adéquat dans les recherches. Certaines études ont constaté des effets légèrement supérieurs sur la douleur lorsque l’entraînement en résistance se concentre sur tous les principaux groupes musculaires dans une même session. On aura donc tendance à prioriser les exercices globaux mettant en jeux plusieurs articulations à la fois, telles que les squats, soulevés de terre, élévations des bras, etc. (Searle et coll, 2015)
Principe de progression
Le mot-clé est GRADUEL ! Au fil des séances, il est important de rechercher des éléments qui témoignent d’une progression.
Cette dernière peut se faire de bien des façons : augmentation du nombre de séries et de répétitions, du nombre de sollicitations par semaine, de la charge soulevée, de la vitesse d’exécution, de l’amplitude de mouvement, de la confiance à la réalisation d'un exercice, etc. Selon l'objectif de la session, la progression doit se faire graduellement afin de laisser suffisamment de temps de récupération à notre organisme entre les stimulations.
Principe de gestion de la douleur
Pour réussir à maîtriser la douleur, il faut chercher à reprendre le contrôle sur cette dernière. Nous en avons discuté, la douleur persistante sans cause médicale sous-jacente n’est souvent pas un indicateur fiable de dommages tissulaires et il ne faut pas craindre de raisonnablement sortir de la zone de confort!
Règle générale, il ne faut pas s’inquiéter si les niveaux de douleurs augmentent légèrement pendant ou après l’exercice. Il faut cependant apprendre à y aller graduellement : si la douleur post-exercice devient difficile à supporter (j'aime dire, si elle change de ''caractère'') ou si elle persiste plus de 24 heures après la séance, il faudra probablement ajuster certains paramètres pour faire en sorte de procéder plus progressivement. L'essai-erreur fait parti de la démarche et les rechutes occasionelle surviendront tôt ou tard. Il faut simplement s'outiller pour traverser les quelques orages, persévérer en respectant la douleur et se rapeller que, après la pluie, le beau temps!
En conclusion
La douleur persistante est mieux prise en charge lorsqu’elle est abordée sous un angle multidisciplinaire pouvant inclure une approche physique, pharmacologique et psychologique au besoin.
L’exercice physique régulier et graduel représente la modalité la mieux étudié contre les douleurs musculosquelettiques de nature persistante.
Plusieurs formes d’activité physique peuvent apporter des résultats significatifs, aussi l’emphase doit-elle être mise sur l’assiduité, la progression graduelle et une bonne gestion de la douleur.
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