La thérapeutique manuelle, l’art de soulager les maux à l’aide des mains, existe depuis aussi longtemps que les premières civilisations. Avec le développement fulgurant de la médecine moderne, des chirurgies, des vaccins et de la pharmacologie, comment expliquer que des méthodes de traitements si anciennes aient encore, plus que jamais, leur utilité dans notre réalité actuelle? C’est parce que les nombreuses disciplines de thérapeutiques manuelles comme la massothérapie, la kinésithérapie et l’ostéopathie s’intéressent au ressenti, un domaine fort important trop souvent négligé, voir ignoré par les valeurs de notre société actuelle ultra-empirique, ultra- rationnelle et ultra-matérialiste.
Pourquoi peine-t-on autant a expliqué à l’aide de donnés mesurables et empiriques, les mécanismes exacts qui se cachent derrière le traitement en thérapeutique manuelle? Après tout, la science moderne est capable de nous dire à quel exact moment une personne expérimente diverses situations en mesurant, à l’aide d’instruments sophistiqués, différentes variables quantitatives : signaux électriques, changements chimiques, contractions musculaires, et bien d’autres. Mais aucune de ces informations quantitatives ne nous renseigne sur le contenu qualitatif de l’évènement, c’est-à-dire le contexte, la qualité et l’interprétation de cette expérience pour la personne qui la vit. Or, ce sont précisément ces éléments qui sont les plus importants et les plus significatifs pour l’organisme de la personne qui les vit et pour ses rapports avec le monde extérieur. C’est un paradoxe difficile à accepter, un problème auquel l’esprit rigidement empiriste et matérialiste se heurte. C’est pourquoi des sciences profondément complexes et établies comme la neurologie peuvent nous renseigner abondamment sur le fonctionnement de nos cellules, mais très peu sur ce que nous devons faire pour faire cessez ces douleurs qui sont si fréquemment observées autour de nous.
Bien sûr, des données objectivement vérifiables et des observations mesurables sont les pierres angulaires de nos sciences de la santé modernes. Avec raison. Elles constituent des protections sérieuses contre la pensée magique, les projections et les préjugés. Toutefois, lorsque l’on décide de ne se fier exclusivement qu’à ces seuls variables, nous ignorons volontairement et systématiquement une quantité d’informations extrêmement importante pour la personne qui souffre. Des informations supposément inadéquates parce qu’elles sont seulement ‘’subjectives’’. La science moderne n’aime pas les données subjectives; elles se classent difficilement, sont trop variables et empêchent souvent l’obtention d’un résultat unique reproductible. Mais en omettant volontairement le côté ‘’subjectif’’ d’une problématique de santé, nous choisissons d’ignorer aussi son aspect ‘’humain’’. Les nombreux évènements microscopiques qui se produisent à l’intérieur du corps humain lorsque ce dernier nous envoi des signaux de douleurs sont difficiles, voir impossible à isolé dans un laboratoire. Encore plus difficile à interprété est la réaction de la personne qui souffre et la façon dont cette réaction influencera son rétablissement.
Quand nous cherchons à étudier une réponse humaine à une douleur, aucune quantité de sophistication expérimentale ne peut cacher le fait que c’est justement les données subjectives qui nous seraient le plus utiles, données que le strict esprit empirique nous oblige à ignorer.
Ce que nous ressentons et comment nous le ressentons sont l’essence même de nos sensations. Ce sont, par le même fait, les plus importants responsables de notre croissance ou de notre dégénérescence. Un évènement objectif est le même pour tous ceux qui l’observent. Mais le contenu perçu de cet évènement et les conséquences personnelles qu’il aura sur chaque individu peuvent varier de manière très marquée! Ce sont justement ces sensations hautement personnelles, le ressenti, qui ont souvent le plus à voir avec notre bien-être et notre santé.
Pour reprendre une citation anonyme au sujet de la situation de la société actuelle : c’est une révélation importante que de réaliser que notre culture nous a tant débilités que nous en sommes venus à croire que ce que nous sentons (ou expérimentons) représente un besoin primaire de première importance tandis que ce que nous ressentons (où la manière dont nous vivons nos sensations) n’est même plus digne de mention. Derrière cet aveuglement acculturé se trouve la raison de la plupart de nos maladies, maux, crises et douleurs qui définissent si bien notre société contemporaine’’1.
Dans la thérapeutique manuelle, les sensations ressenties par le patient sont de première importance. L’échange qui se crée entre les mains du thérapeute et le corps du patient permet de créer un moment privilégié pour le dialogue interne. Le patient peut ainsi explorer, accompagné par cette présence extérieure bienveillante, les différents éléments conscients ou inconscients qui constituent l’expérience de sa douleur. Il est plongé au cœur de son ressenti.
Ce phénomène n’oppose pas les divers arts thérapeutiques à la science empirique. Plutôt, cela permet d’ajouter une importante dimension d’information à celles des poids et des mesures strictement objectives.
Un spasme musculaire douloureux, une contraction chronique qui limite le mouvement ou une habitude posturale néfaste ne sont pas seulement des évènements neuromusculaires bien spécifiques. Ils comprennent aussi des sensations et des émotions qui les précèdent, les accompagnent ainsi que d’autres liés à leurs conséquences et leurs implications futures.
Par exemple, la personne qui vivra une période très difficile de sa vie pourra souffrir d’un épisode de dépression. Son attitude posturale suivra son état psychologique; son dos semblera se voûter, comme si le monde pesait sur ses épaules. Elle exprimera, si son état perdure un certains temps, diverses douleurs musculosquelettique : migraine, torticolis, maux d’épaules, etc. La manière dont cette personne qui souffre se perçoit, perçoit sa douleur ainsi que son opinion sur le monde extérieur, auront toute une importance non négligeable dans son rétablissement. Pourtant, ce sont des données difficilement mesurables.
Ces perceptions personnelles qui constituent le ressenti ne sont pas étrangères à la physiologie. Au contraire, dans un grand nombre de cas, elles peuvent être démontrées comme étant l’élément déclencheur de conditions physiologiques bien spécifiques. Exemple banal : qui n’a jamais souffert de constipation suite à une période de sa vie particulièrement stressante? Les aléas de la vie sont rarement stressant de par eux-mêmes : ce sont l’importance et la signification que nous donnons à ces évènements qui engendre notre anxiété et, par le même fait, ralentissent notre transit intestinal.
Nos sensations et les réponses mentales que nous adoptons envers elle (notre ressenti) altèrent notre chimie interne et notre structure (notre senti) aussi fréquemment que l’inverse peut se produire.
De plus, il n’est pas impossible d’être honnête, précis et rigoureux en analysant les sensations subjectives du domaine du ressenti pour pouvoir utiliser ces informations en cas de nécessité thérapeutiques. Quelles sont les conditions sensorielles et émotionnelles qui peuvent générer un trouble musculaire ou viscéral? Et quelles sont les conditions sensorielles et émotionnelles nécessaires à la guérison? Ces questions sont d’une importance primordiale pour l’individu qui souffre, peu importe si ces informations sensorielles et émotionnelles peuvent être pesées, mesurées ou analysées chimiquement. Heureusement, de plus en plus d’études prennent maintenant en compte ces informations subjectives si importantes.
En conclusion, les thérapeutiques manuelles ont et auront toujours leur raison d’être. En accordant une part importante à la sphère du ressenti, ces données subjectives et hautement personnelles à chacun, elle permet, chaque jour, à des patients d’éviter la chirurgie, de réduire ou éliminer leurs médications, de diminuer ou de faire disparaître des douleurs chroniques et même parfois, de freiner, voir arrêter une condition médicale dégénérative. La thérapeutique manuelle n’est pas un remède miracle à tout, cependant nous manquerions cruellement de jugement en cessant d’avoir recours à ces disciplines qui combinent si savamment science et arts, sentis et ressentis.
Mis-à-jour Avril 2020 _________________________________________________________________________
Nicolas Blanchette pratique l’ostéopathie et la kinésiologie avec son équipe Ostéo-Solution sur la Couronne Nord de Montréal, au Québec.
Vous êtes thérapeutes manuel(le)s?
Sources
1Anonyme, cité dans Mouvement Ritual de Anna Halprins, Somatics magazine, 1980, p.2
JUHAN, Deane. Job’s Body, Station Hill Press, 2003, p. 454 p.